Qualification des établissements industriels : l’administration précise les critères

Les critères de qualification des établissements industriels viennent d’être précisés par l’administration fiscale dans une importante mise à jour de sa doctrine. De la qualification du bien dépend la méthode d'évaluation qui sera retenue, notamment en matière de taxe foncière. Des enjeux à ne pas sous-estimer.

Afin de sécuriser la détermination des valeurs locatives des biens immeubles des entreprises, la loi de finances pour 2019 (Loi 2018-1317 du 29-12-2018 art. 156) avait légalisé, à l’article 1500 du CGI, la définition des établissements industriels au sens foncier dégagée par la jurisprudence. Cet article prévoit égale­ment qu'en deçà d'un seuil de 500 000 € de valeur des installations techniques, matériels et outillages, des biens immeubles ne peuvent pas être qualifiés d’établissements industriels. Si un bien répond aux critères de qualification d’établissement industriel, la méthode d’évaluation retenue sera la méthode dite « comptable » basée sur le prix de revient des immobilisations (CGI art. 1499). Si, toutefois, un bien ne répond pas à ces critères, il sera alors évalué selon la méthode des locaux professionnels (CGI art. 1498). Ainsi, la qualification du bien dicte la méthode d’évaluation à retenir, notamment pour l’établissement de la taxe foncière sur les propriétés bâties.

Dans une mise à jour de sa base Bofip du 14-6-2023, l’administration procède à un important toilettage de sa doctrine, notamment concernant les critères de qualification des établissements industriels. Le point sur les principales précisions apportées.

Critères de qualification

Les critères de qualification des établissements industriels varient selon l'activité exercée.

Locaux abritant des activités de fabrication ou de transformation

Tout d'abord, les bâtiments et terrains servant à l’exercice d’une activité de fabrication ou de transformation de biens corporels mobiliers n’ont le caractère d’établissement industriel que lorsque l’activité réalisée nécessite d’importants moyens techniques (CGI art. 1500, I-A-1er al.). Cette définition trouve son origine dans la jurisprudence du Conseil d’État (CE 27-7-2005 n° 261899).

Attention. S’appuyant sur la jurisprudence (CAA Lyon 3-5-2018 n° 16LY02757), l’administration précise que la notion de « bâtiments et terrains industriels » s’applique de manière autonome pour les impôts fonciers, c’est-à-dire qu’une société ne peut utilement se prévaloir, pour l’application d’un article du Code général des impôts (CGI), d’interprétations données pour l’application d’autres articles du CGI. Lorsqu’il s’agit, par exemple, du champ d’application d’un dispositif d’allègement de l’impôt sur les bénéfices en faveur de l’industrie, le Conseil d’État donne de l’activité industrielle une définition plus économique, conforme à l’intention du législateur, en mettant l’accent sur l’objet de l’activité.

Les biens concernés s’entendent des usines et ateliers où s’effectuent, à l’aide d’un outillage relativement important, la transformation des matières premières ainsi que la fabrication ou la réparation de biens corporels mobiliers. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire que la transformation présente un caractère substantiel (CE 22-9-2014 n° 367204).

Pour l’administration, le critère de l’importance des moyens techniques s’apprécie de façon quantitative et, dans l’absolu, en retenant le prix de revient du bien. Les moyens techniques à considérer sont ceux qui concourent directement à l’exercice de l’activité principalement mise en oeuvre dans l’établissement. En sont donc exclus, par exemple, les moyens afférents aux fonctions administratives (matériel et mobilier de bureau) ou aux fonctions exercées hors de l’enceinte de l’établissement (matériel de transport).

Après avoir listé les moyens techniques à prendre en compte, le juge vérifie si le total de leur valeur brute comptable est important (voir CE 2-2-2022 n° 443107 pour des moyens techniques dont la valeur brute comptable s’élève à 644 691€). L’importance des moyens techniques doit être appréciée par rapport à la nature et à la spécificité de ces moyens (CAA Lyon 3-5-2018 n° 16LY02757), ainsi qu’en tenant compte de la capacité de production découlant de ces moyens (CAA Douai 18-2-2010 n° 08DA01106).

Locaux abritant d’autres activités

Les bâtiments et terrains servant à l’exercice d’une autre activité que la fabrication et la transformation de biens mobiliers corporels ne revêtent un caractère industriel que lorsque deux critères cumulatifs sont réunis (CGI art. 1500, I-A-2e al.) :

  • le critère de l’importance des moyens techniques (ce critère s’analysant dans les mêmes conditions que pour les locaux abritant des activités de fabrication ou de transformation) ;
  • le rôle prépondérant des installations techniques, matériels et outillages mis en oeuvre dans l’exercice de l’activité.

Il peut s’agir notamment des établissements dans lesquels sont réalisées soit des opérations d’extraction (carrières de pierre, par exemple), soit des opérations de manipulation de biens corporels ou des prestations de services (marchands en gros utilisant des engins de levage de grande puissance, blanchisseries automatiques, teintureries, etc.). Ces exemples ne sont pas exhaustifs et dépendent d’une appréciation de la situation de fait au cas par cas.

Le critère de la prépondérance du rôle des installations et outillages ne peut se réduire à une approche quantitative et s’apprécie au regard de chaque situation de fait. Citant de nombreuses décisions (par exemple, CE 9-10-2013 n° 354632 ; CE 5-10-2016 n° 381456 ; CE 5-10-2016 n° 381457), l’administration souligne que ce n’est pas le coût financier des facteurs techniques et humains qui est décisif pour apprécier ce critère mais le poids respectif des différents facteurs de production dans le processus d’exploitation. Les moyens mis en oeuvre peuvent jouer un rôle prépondérant même s’ils ne représentent pas une part prépondérante dans le total des immobilisations. Ainsi, la prépondérance doit être démontrée uniquement au regard du processus de production sans prendre en compte le rapport existant entre la valeur au bilan de ces installations techniques et celle des constructions, mais en s’appuyant sur le rendement que ces installations permettent d’obtenir.

En cas de pluriactivité, le critère de la prépondérance du rôle des installations, matériels et outillages mis en oeuvre s’apprécie au regard de l’activité déployée de manière globale sans dissocier, par exemple, l’activité administrative et l’activité de logistique (CE 5-2-2014 n° 365583).

Une exception pour les installations n’excédant pas 500 000 €

Depuis le 1-1-2020, les bâtiments et terrains affectés à une activité entrant dans le champ de la cotisation foncière des entreprises (CGI art. 1447) ne revêtent pas un caractère industriel lorsque la valeur des installations techniques, matériels et outillages présents et destinés à l’activité ne dépasse pas un montant de 500 000 € (CGI art. 1500, I-B).

Attention. L’administration précise que le dépas-sement du seuil de 500 000 € ne constitue pas une présomption du caractère industriel des bâtiments et terrains. Le caractère industriel de ces bâtiments et terrains constitue une question de fait qui appelle une appréciation au cas par cas. Ces derniers ne seront considérés comme formant un établissement industriel que s’ils répondent à la définition précédemment exposée (CGI art. 1500, I).

Biens retenus pour le calcul du seuil de 500 000 €

L’administration précise qu’il s’agit des installations, matériels et outillages qui interviennent directement ou indirectement dans le processus de fabrication, de transformation, de manipulation de biens corporels ou de prestations de services. Ils font partie soit des immobilisations corporelles devant être inscrites dans l’un des comptes 211 à 218 du PCG si l’exploitant en est le propriétaire, soit des immobilisations corporelles mises à sa disposition. Sont concernés, d'une part, les installations techniques, matériels et outillages proprement dits et, d'autre part, les biens d'équipement spécialisés qui correspondent, notamment, aux équipements et biens mobiliers exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties (CGI art. 1382, 11°). Les installations et outillages peuvent notamment comprendre les équipements ayant pour support le bâtiment ou le terrain (équipements de sécurité, de réfrigération, etc.) ainsi que les matériels et outillages mobiles utilisés dans le cadre de l’activité (réseau informatique intégré, engins de levage, etc.).

Les biens retenus pour l’appréciation du seuil de 500 000 € sont ceux dont l’exploitant a la disposition pour les besoins de l’activité réalisée. Ils peuvent être la propriété de l’exploitant ou mis à sa disposition à titre onéreux ou gratuit (location, sous-location, concession, crédit-bail, prêt, location-gérance, gérance-mandat, etc.). Ils peuvent être détenus ou présents pendant une durée totale d’au moins 6 mois au cours de l’année civile précédant celle au titre de laquelle l’imposition est établie ou, en cas de clôture d’un exercice égal à 12 mois au cours de cette même année, au cours de cet exercice (CGI art. 1500, I-B-2). L’administration indique que la durée de détention s’apprécie à la fin de la période de référence. Elle ajoute qu’à cette date le dépassement du seuil est apprécié en additionnant le montant de chaque installation, matériel et outillage présent pour une durée cumulée égale ou supérieure à 6 mois.

Pour apprécier le seuil de 500 000 €, la valeur des biens correspond à leur prix de revient, c’est-à-dire la valeur d’origine inscrite au bilan du propriétaire ou de l’exploitant (CGI ann. III art. 38 quinquies). Lorsque ces biens font l’objet d’une location ou d’une mise à disposition gratuite, leur valeur correspond également à leur valeur d’origine inscrite au bilan de l’entreprise exerçant l’activité de location ou les mettant à disposition. Si cette valeur n’est pas communiquée à l’exploitant, il doit en effectuer une estimation par tous moyens utiles.

Franchissement du seuil

Le franchissement à la hausse est pris en compte lorsque ce montant est dépassé pendant chacune des 3 années précédant celle au titre de laquelle l’imposition est établie.

Exemple

Durant une année N, l’exploitant a dépassé le montant de 500 000 €. L’année N + 1, il repasse sous ce montant. Les années N + 2, N + 3 et N + 4, il dépasse à nouveau ce montant. Le seuil est alors réputé franchi à la hausse à compter des impositions établies au titre de l’année N + 5.

 

Le franchissement à la baisse est pris en compte lorsque ce montant n’est pas dépassé pendant les 3 années précédant celle au titre de laquelle l’imposition est établie. Il faut comprendre qu’il s’agit de 3 années consécutives.

Exemple

Si l’exploitant repasse sous le montant de 500 000 € les années N + 5, N + 6 et N + 7, ce n’est que pour les impositions établies au titre de N + 8 que le seuil sera réputé franchi à la baisse.

 

Conséquences liées au franchissement du seuil

En cas de franchissement du seuil, l'exploitant non propriétaire doit en informer le propriétaire, avant le 1er février de l’année au cours de laquelle le seuil est franchi. L’administration précise que cette information peut s’effectuer par tout moyen. Le montant des biens ne doit être communiqué au propriétaire que s’il est différent de celui de l’année précédente.

Le propriétaire doit informer l'administration du franchissement du seuil s'il occasionne un changement d'affectation, dans les 90 jours de ce changement (CGI art. 1406). Le franchissement du seuil à la hausse ou à la baisse a des conséquences importantes sur la méthode d’évaluation à retenir.

Exemple

Un atelier est un local professionnel dans lequel est exercée une activité de fabrication des biens corporels mobiliers. Si cet atelier se dote d’importants moyens techniques et que la valeur de ces biens dépasse 500 000 €, celui-ci peut être regardé comme changeant d’affectation, entrer dans le champ des établissements industriels et voir sa valeur locative déterminée selon la méthode dite « comptable ».

 

Lorsque le seuil est franchi à la hausse, le propriétaire doit apprécier si les bâtiments et terrains revêtent un caractère industriel et informer, le cas échéant, l’administration du changement d’affectation du local par le dépôt d’une déclaration type modèle U n° 6701 (Cerfa n°10516) afin de permettre l’évaluation du local selon la méthode comptable (CGI art. 1499 ; CGI ann. III art. 321 E).

Lorsque le seuil est franchi à la baisse, le propriétaire doit informer l’administration du changement d’affectation en local professionnel par le dépôt d’une déclaration n° 6660-REV (Cerfa n° 14248) afin de permettre l’évaluation du local selon la méthode applicable aux locaux professionnels (CGI art. 1498).

Lissage de la valeur locative

La loi de finances pour 2019 (Loi 2018-1317 du 28-12-2018 art. 156) a institué un mécanisme de lissage applicable en cas de variation de plus de 30 % de la valeur locative d'un local industriel ou professionnel à la suite d'un changement de la méthode d'évaluation ou d'un changement d'affectation. La variation de la valeur locative ainsi constatée fait l'objet d'une réduction égale à 85 % du montant de la variation la première année où le changement est pris en compte, à 70 % la deuxième année, à 55 % la troisième année, à 40 % la quatrième année, à 25 % la cinquième année et à 10 % la sixième année (CGI art. 1518 A sexies).

L’administration crée une nouvelle section dans sa base Bofip pour intégrer ce mécanisme qui s’applique aux changements constatés depuis le 1-1-2019 (BOI-IF-TFB-20-20-10-35 du 14-6-2023).

Elle apporte notamment des précisions relatives aux locaux et changements concernés.

Locaux industriels ou professionnels concernés

L’administration précise tout d’abord que le mécanisme de lissage vise les bâtiments ou terrains industriels qui ont changé de méthode de détermination de leur valeur locative (CGI art. 1499-00 A ou art. 1500) ou qui ont fait l’objet d’un changement d’affectation, c’est-à-dire des locaux professionnels nouvellement affectés à un usage industriel.

Changement de méthode d’évaluation

Le mécanisme de lissage trouve à s’appliquer aux locaux dont l’affectation n’est pas modifiée, mais pour lesquels un changement de la méthode d’évaluation est opéré (méthode comptable et/ou méthode tarifaire). Tel est notamment le cas lorsque le propriétaire ou l’exploitant d’un bâtiment ou d’un terrain industriel voit ses obligations déclaratives (CGI art. 53 A) évoluer ou qu’il ne respecte plus les conditions fixées par les entreprises artisanales (CGI art. 1499-00 A).

Par ailleurs, l’administration précise que, les termes de la loi ne prévoyant aucune disposition spécifique sur l’origine des changements de méthode d’évaluation éligibles, ces derniers peuvent donc être issus aussi bien d’une déclaration de changement déposée par le contribuable dans les délais légaux que d’une procédure de contrôle fiscal ou d'une réclamation contentieuse.

Changement d’affectation

Le mécanisme de lissage s’applique tant aux locaux industriels devenant professionnels qu’aux locaux professionnels devenant industriels, indépendamment du changement ou non de la méthode d’évaluation qui leur est applicable.

Exemple

Un bâtiment industriel abrite une activité de fabrication ou de transformation de biens corporels mobiliers et sa valeur locative est déterminée selon la méthode dite « comptable » (CGI art. 1499). S'il ne répond plus à la définition des établissements industriels posée par l'article 1500 du CGI car il ne dispose plus d'importants moyens techniques, il sera regardé comme changeant d'affectation (CGI art. 1406) pour être affecté à un usage professionnel et, par conséquent, verra sa valeur locative déterminée selon la méthode des locaux professionnels (CGI art. 1498).

 

Changements pouvant entraîner la sortie du lissage

Les changements autres que les changements de méthode d’évaluation et les changements d’affec­tation, tels que les additions de construction, les changements de consistance ou d’utilisation, ne donnent pas lieu à l’application du dispositif de lissage. Lorsqu’un bâtiment ou terrain est concerné par l’un de ces changements pendant l’application de la réduction de la variation de valeur locative, celle-ci cesse de s’appliquer pour les impositions établies au titre de l’année qui suit la réalisation de l’un de ces change­ments. L’administration précise que seul le bâtiment ou terrain concerné par l’un de ces changements perd le bénéfice du dispositif de lissage : les autres bâtiments ou terrains constituant l’établissement industriel conservent la réduction de valeur locative.

Enfin, si ces changements interviennent la même année que les changements de méthode d’évaluation ou d’affectation, le mécanisme de lissage ne s’applique pas. Il en est de même en cas de changement d’exploitant constaté la même année que le changement de méthode d’évaluation.

Principe de l'annualité

Les changements de méthode d’évaluation ou d’affectation réalisés après le 1er janvier d’une année ne peuvent être pris en compte qu’à compter des impositions établies au titre de l’année suivante.

Exemple

Un local professionnel fait l’objet d’un changement d’affectation en établissement industriel au 7 janvier N. Le changement de méthode de détermination de la valeur locative qui en découle sera pris en compte pour les impositions établies au titre de l’année N + 1.

 

BOI-IF-TFB-20-10-50-10 ; BOI-IF-TFB-20-20-10-35, mise à jour du 14-6-2023

© Lefebvre Dalloz

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